hospitalité

L'hospitalité: âme du chemin de Compostelle

Ce témoignage d’Anne a été publié dans Camino n°63. Un hymne à l’accueil légendaire des hospitaliers sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ici sur le chemin du Puy :

Lectoure sur le Chemin du Puy

cathédrale de Lectoure
(chemin du Puy)

Bonjour à toute l’équipe du Camino et merci de votre travail qui me permet de rester en contact par delà tous les chemins possibles.

À tous les hospitaliers…

J’ai marché de Moissac à Roncevaux pendant le mois de juillet.

• Cette après-midi là, je devais arriver sur Lectoure. C’était mon troisième jour de marche, le pire, celui des courbatures quand on ne marche pas beaucoup dans l’année. Pour tout dire, j’avançais à une allure de tortue avec une démarche de canard. Le temps s’est couvert, et la pluie s’est mise à tomber, une averse orageuse.

J’étais pas mécontente, loin de là : ça rafraîchit toujours! Mais l’averse ne s’arrêtait pas, je ne voyais pas le bout du chemin, et j’avançais encore moins vite. Finalement, je suis arrivée au presbytère de Lectoure, la cape de pluie dégoulinante, collant aux épaules et au sac, et les pieds « flocfloquant » allègrement. J’ai sonné, une dame hospitalière m’a ouvert la porte :

– Rentre donc, je vais t’aider à enlever ta cape.

C’était rien, et pourtant si elle savait combien j’ai été émue par son geste moi qui n’avait rien demandé… Oui, tous les hospitaliers, par leur travail offert, leur présence à l’autre, sont une partie de l’âme de ce chemin. À Lectoure, à Saint-Palais, à Saint-Jean-Pied-de-Port, à Roncevaux, à tous les endroits où ils sont présents et où je ne suis pas passée, grand merci à vous tous pour ce partage! Ultreïa!

• Cet autre jour, il faisait très chaud. Après le vieux pont d’Artigues, je n’avais déjà plus d’eau… J’avais bien vu une affiche qui indiquait un accueil pèlerin à trois kilomètres. Je pensais demander de l’eau pour ma gourde… Il faisait chaud… C’est vrai qu’en cette saison, il doit y avoir beaucoup de randonneurs pèlerins qui dérangent les gens à droite ou à gauche pour remplir leur gourde… Nouvelle pancarte, « accueil pèlerin Lasserre de Haut 1,5 km »…

J’ai marché plus vite que prévu… J’ai la gorge sèche, je n’ouvre pas la bouche… J’aime pas déranger… Peut-être que là je ne dérangerais pas trop, ils ont écrit « accueil pèlerin »… Nouvelle pancarte à 500 m… Je commence vraiment à avoir soif… Ça y est, je vois des mannequins sur le bord du chemin, c’est sympa! Je vois aussi indiqué « table et chambres d’hôtes, boissons »… Je ne veux pas consommer, je voudrais juste remplir ma gourde avant de continuer… C’est si bien décoré, j’hésite à m’avancer, mais j’ai tellement soif que je me retrouve devant l’entrée d’un hangar avant d’avoir le temps de finir de penser. Une dame souriante salue un petit groupe qui s’en va et se retourne vers moi.

Gîte sur le Chemin du Puy

accueil pèlerin à Lasserre de Haut

– Qu’est-ce que je peux faire pour vous?
– Excusez-moi de vous déranger, c’est juste pour remplir ma gourde si c’est possible…
– Donnez moi votre gourde, je vais vous chercher de l’eau fraîche. Mais, ne restez pas là, posez votre sac un moment, avancez vous, voyez là il y a un brumisateur… Vous avez eu très chaud, il faut vous rafraîchir, la tête aussi n’hésitez pas… Allez-y, allez-y, je vais remplir votre gourde. Et après, allongez vous sur le transat là-bas…

Je me confonds en remerciements. C’est vrai que j’ai chaud. Les gouttes d’eau fraîche coulent sur mon visage, sur mes cheveux, mes bras… Les dégoulinures de chaleur s’en vont, suivent les gouttes qui glissent sur ma peau… Je me retourne, le « transat là-bas » est installé sous un palmier, des voiles de couleur, légers, pendent sous le préau, volent au vent, doucement… Je m’allonge, je ferme les yeux…

– Tenez, rafraîchissez-vous…
La dame me met dans les mains une coupe décorée de sillons dorés remplie de glaçons, ma gourde pleine est à côté. Je remercie, elle disparaît sous une treille… Bruits de voix, sa famille peut-être… Je bois, lentement, l’eau de fonte des glaçons… La coupe est vide… Je me lève…

Pour eux, cette après-midi là sous la treille, j’ai raconté… Et puis, j’ai pris mon sac et ma gourde, je suis sortie… Là, devant le hangar, j’ai rencontré une dame avec qui j’avais marché trois mois auparavant du côté de Moissac…

Exclamations, le temps s’est soudain télescopé… La dame du gîte de Lasserre de Haut souriait à peine étonnée… À Lasserre de Haut, il y a un lieu beau et paisible à la fois, une dame souriante, accueillante, présente… Vous qui me lisez, n’hésitez pas à passer et saluez-la pour moi.

Bon chemin! Merci,
Anne Noisier

Reportage sur la Voie d'Arles

À l’occasion de l’année jacquaire, une série de reportages a été diffusée à la télévision en juillet dernier pour présenter les différentes voies qui mènent à Compostelle. Le premier volet était consacré à la Voie d’Arles, également appelée Via Tolosana, qui relie Arles, Toulouse, le Col du Somport et Puente la Reina.

>> Retrouver la page du guide pratique de randonnée consacré à la voie d’Arles (ou Via Tolosana) vers Compostelle

Un mythe du chemin : la fuente de vino de Irache

Dans le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle rédigé au XIIe siècle par Aymeri Picaud, il est fait mention de « Stella, que pane bono et obtimo vino » (« Estella où le pain est bon et le vin excellent »). Estella est une ancienne cité romaine, « Estella la bella » comme l’appelaient les pèlerins du Moyen Âge, située en Navarre, sur le Camino francés, entre Puente la Reina et Logroño. Le vin y était excellent au XIIe siècle… et on en parle encore ! Car à trois kilomètres de là se situe l’ancien monastère d’Irache, qui fut le premier hospice de pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques. On y trouve aujourd’hui les caves Bodegas Irache, qui perpétuent la tradition médiévale de la production viticole, et aussi de la générosité envers les pèlerins…

irache

Contre un mur qui longe le Camino, les Bodegas Irache ont construit en 1991, en pierres de taille, une fontaine qui offre ou bien de l’eau, ou bien du vin… Deux inscriptions sur la fontaine disent en espagnol : « À boire sans abus nous vous invitons avec plaisir. Pour pouvoir l’emporter, le vin doit être acheté » et « Pèlerin, si vous voulez arriver à Compostelle avec force et vigueur, de ce grand vin buvez une gorgée et trinquez pour le bonheur ».

L’étape par laquelle on rejoint Torres del Rio depuis Estella est longue et éprouvante en cas de grosse chaleur. Quand on arrive à Irache, on a marché seulement une demi heure, et il reste devant soi 27 kilomètres… or le vin d’Irache est fortement alcoolisé, même s’il se laisse boire facilement. Il faut donc bien penser à bien remplir sa gourde… en eau !

Une webcam filme la fontaine en permanence pendant la saison. Si vous avez des amis pèlerins dont vous savez qu’ils passent par Irache, vous pourrez les observer en train d’étancher leur soif ici :

http://www.irache.com/webcam/

Et si vous êtes vous-même déjà passé par Irache, sans doute avez-vous gardé des souvenirs pittoresques de la fuente de vino

Fuente de vino

À la bonne santé du pèlerin !

Le devoir et le privilège d'accueillir les pèlerins de Saint-Jacques

Qui sont les pèlerins de Compostelle? Les personnes qui les accueillent dans les étapes de leur chemin savent qu’il n’y a pas un modèle, une définition du pèlerin, mais de multiples visages, des motivations variées… et pourtant un point commun: une quête, qui peut prendre des formes très différentes, et ne dit pas toujours son nom.

L'abbé Sébastien Ihidoy

L'abbé Sébastien Ihidoy

L’abbé Sébastien Ihidoy, curé de Navarrenx de 1981 à 2001, est une grande figure du chemin, bien connue des pèlerins qu’il a accueillis avec une hospitalité légendaire dans son presbytère. Dans le bulletin Le Bourdon, périodique de liaison des associations des Amis de Saint-Jacques en Aquitaine, l’abbé Ihidoy a livré une méditation profonde et personnelle sur cette richesse et cette diversité des différents profils de pèlerins. Dans ce texte, il exprime aussi sa conception exigeante et généreuse de l’accueil. Un vrai programme, qui inspire beaucoup d’hospitaliers et de bénévoles se dévouant pour aider et accompagner les pèlerins, ces hommes et ces femmes de passage:


LE DEVOIR ET LE PRIVILÈGE D’ACCUEILLIR


On m’a proposé d’écrire un petit mot sur l’accueil. Je le fais volontiers en pensant à tous les visages que j’ai rencontrés et qui m’ont apporté plus que je n’ai pu leur donner.

En arrivant à Navarrenx en 1981, je ne savais pas que la Providence m’avait placé sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Les pèlerins se sont, d’abord, présentés au compte-gouttes. Je les ai reçus, simplement comme je le fais pour les paroissiens. L’accueil n’est il pas un devoir sacré pour tout un chacun? Et quand on a de la place, comment refuser d’ouvrir la porte à des gens qui ont fait trente kilomètres à pied, sac au dos, par tous les temps?

J’ai perçu d’emblée la richesse qu’ils portaient en eux, la quête humaine, parfois spirituelle, qu’ils exprimaient. Le nombre a augmenté d’année en année pour atteindre les chiffres que l’on sait.

Nous sommes devant un véritable phénomène de société: des hommes, des femmes, des jeunes, des anciens, de tous pays: Hollandais, Suisses, Belges, Allemands, Autrichiens, quelques Américains, des Français bien sûr, faisant route dans la même direction, à l’instar des siècles lointains, en quête d’une Étoile donnant un sens à leur vie.

Il me serait agréable ici de brosser quelques portraits-type de pèlerins. Mais cela m’amènerait trop loin. Je me contente de les mentionner.

Il y a l’ancien qui a accompli tout un parcours familial et professionnel, et qui veut rendre grâce pour tous les bienfaits reçus. Parfois il a une grâce à demander pour un de ses enfants ou petits-enfants.

Il y a le jeune adulte engagé jusqu’au cou dans la vie professionnelle, souvent cadre, débordé de travail et de voyages d’affaires, bousculé dans sa vie familiale, et qui part avec cette question: n’y a t il pas moyen de trouver une vie plus humaine?

Il y a le jeune qui vient d’achever ses études, et qui prend de la distance avant d’aborder la vie active.

Il y a l’artiste, soit de musique, soit de peinture, soit de sculpture, qui va à la recherche de lui-même comme d’une inspiration dans les profondeurs et au-delà de soi.

Il y a le médecin, le pharmacien, le professeur, l’architecte, qui veulent regarder les besoins de l’homme d’aujourd’hui , au-delà de leur pratique quotidienne.

Il en est bien d’autres au milieu, ouvriers, fonctionnaires, qui veulent repenser leur vie.

Il y a enfin le chômeur, et celui qui a du mal à se situer dans la société actuelle, sans compter les jeunes couples qui testent, sur le Chemin, la solidité de leur amour.

Bref, ce sont toutes les facettes de notre société qui se reflètent sur le Chemin comme dans un miroir grossissant.

Alors je vous le demande: comment ne pas accueillir? Comment ne pas être à l’écoute? Comment ne pas partager leurs questions et leur quête? Comment ne pas être leur partenaire et leur complice? Le peu de temps qu’on leur donne est sublime. Derrière chaque visage, il y a quelque chose d’unique à recevoir. Je disais qu’accueillir est un devoir. C’est bien plus, une chance, un privilège.

Pèlerins de Saint-Jacques

«Derrière chaque visage, il y a quelque chose d'unique à recevoir.»

Ici, je ne vais pas éluder la question: Ne faut-il pas distinguer les vrais pèlerins et les faux pèlerins?

À cette question je réponds d’abord, par une autre: Qui peut juger?

C’est vrai que les motivations des uns et des autres sont extrêmement variées.

On trouve des pèlerins guidés par l’Étoile de la foi et qui vont, comme François d’Assise, chantant le vent, la pluie et le soleil. Ils ont la liberté intérieure. Leur souffle balaye nos pesanteurs.

On trouve, également, de nombreux pèlerins en quête d’une vie plus humaine. C’est peut-être la motivation la plus commune. J’admire l’authenticité de leur recherche. Et dire que Dieu, en Jésus-Christ, a pris le chemin de l’homme pour nous rejoindre!

Il en est d’autres qui sont guidés par des préoccupations culturelles, touristiques, sportives, mais sont très sensibles à la dimension spirituelle de Chemin.

C’est vrai, aussi, que l’on trouve sur le Chemin des gens qui sont plus randonneurs que pèlerins. Et ils le disent. Mais combien après avoir commencé le trajet en marcheurs le terminent en pèlerins! J’en ai de nombreux témoignages. Quoiqu’il en soit, tout le monde a droit au Chemin.

Il en est dont on se demande s’ils sont vagabonds ou pèlerins. Ils sont rares. Mais, même s’ils le sont (vagabonds), pourquoi poser sur eux un regard condamnateur et excluant? Personnellement, je leur fais confiance et je les encourage à faire le Chemin sérieusement avec toutes les exigences qui s’y rattachent. On y rencontre des générosités admirables…

Il y a, enfin, des athées déclarés. Vous allez me dire: que font-ils sur le Chemin de St Jacques? Je crois pouvoir répondre en résumé: ils cherchent une vie plus authentique. Je sais que « Dieu est à l’horizon des recherches de vie authentique ». Je les accueille avec infiniment de respect et d’amitié.

À l’appui de tout ce que je viens de dire quant au jugement sur les vrais ou les faux pèlerins, je veux apporter cet exemple vécu. Un soir, un jeune couple belge, avec un chien noir, fait halte chez moi. Tous les deux sont chômeurs. Après avoir sympathisé avec eux, et avant d’écrire un petit mot sur leur « Credential » et de le tamponner, je leur demande: qu’est-ce que vous cherchez sur le Chemin? C’est elle qui me répondit, et je n’oublierai jamais l’expression de son visage en prononçant textuellement ces mots:

« Nous cherchons:

  • un peu de force, nous sommes fragiles…
  • un peu de stabilité, nous n’avons pas de travail…
  • un peu d’équilibre, nous avons du mal à gérer notre vie… »

Il y avait là un autre couple plus ancien, un pasteur protestant et sa femme, médecin. Nos regards se sont croisés, non sans émotion, et celui du pasteur me disait: « Voilà les vrais pèlerins ».

Je voudrais tellement qu’on cesse de juger les bons et les mauvais pèlerins. Ce n’est pas de la naïveté! C’est du réalisme. Permettons à chacun, en faisant le Chemin, de faire son chemin.

Les associations qui parrainent ont un grand rôle à jouer pour informer et situer chacun dans sa démarche, ainsi que pour canaliser le mouvement. Leur action, à mon sens , doit se porter sur une responsabilisation des futurs pèlerins, les aider à s’accomplir dans la démarche qu’ils entreprennent, et leur expliquer que si le Chemin va beaucoup leur donner, eux aussi, sur ce Chemin, ont des devoirs. Mais nous sommes dans une société éclatée. Il faudra, par les temps qui courent, accueillir largement ceux qui échappent à nos structures habituelles et à nos schémas de pensée.

J’émets un dernier souhait. Le passage des pèlerins est une richesse, sur le plan humain, culturel et spirituel. Tout le monde devrait en profiter. Je souhaite qu’au-delà de ceux qui sont préposés à l’accueil, il y ait un échange entre la population locale et ceux qui passent. Je vois l’ébauche d’une société plus humaine et plus fraternelle à l’aube du troisième millénaire.

Permettez que je termine par une évocation biblique. Abraham est assis à l’entrée de sa tente, sous le chêne de Mambré, au plus chaud du jour. Trois visiteurs s’approchent. Abraham les accueille à la mode orientale, c’est à dire royalement. À travers ces étrangers, il a l’intuition d’accueillir Dieu. Il ne se trompe pas. La fécondité lui est promise et donnée, celle d’un « peuple aussi nombreux que les étoiles du ciel ». Aujourd’hui, des pèlerins, sur le Chemin de Saint-Jacques, passent parmi nous. Ne manquons pas le rendez vous. Leur rencontre est source de fécondité pour tous.

Trinité de Roublev

Roublev, Les trois visiteurs accueillis par Abraham sous le chêne de Mambré:
«À travers ces étrangers, il a l'intuition d'accueillir Dieu.»

Le chemin et la littérature: quand le premier troubadour chantait l'étrange aventure d'un pèlerin de Saint-Jacques

Guillaume IX d'AquitaineGuillaume IX de Poitiers (1071-1126), duc d’Aquitaine et grand-père d’Aliénor, est le premier troubadour et le premier poète en langue vulgaire de l’Europe médiévale.

Sa chanson « Farai un vers pos mi sonelh » constitue l’un des tout premiers témoignages littéraires sur le coquillard ou faux pèlerin de Compostelle.

Guillaume IX est le seul auteur de la littérature occitane médiévale à mettre en scène un pèlerin tourné en dérision. Dans cette chanson, en effet, le narrateur est un pèlerin absorbé dans une rêverie diabolique, dans laquelle deux jeunes femmes l’apostrophent (« E Dieus vos salf, don pelerin! ») et, sous prétexte de lui offrir l’hospitalité, l’entraînent vers la luxure…

La chanson de Guillaume IX d’Aquitaine et sa traduction
Farai un vers, pos mi sonelh
E m vauc e m’estauc al solelh.
Domnas i a de mal conselh,
E sai dir cals:
Cellas c’amor de cavalier
Tornon a mals

Domna fai gran pechat mortal
Qe non ama cavalier leal;
Mas s’ama o mong’ o clergal,
Non a raizo:
Per dreg la deuri’ hom cremar
Ab un tezo.

En Alvernhe, part Lemozi,
M’en aniey totz sols a tapi:
Trobei la moller d’en Guari
E d’en Bernart;
Saluderon mi simplaentz
Per san Launart.

La una m diz en son latin:
« E Dieus vos salf, don pelerin;
Mout mi semblatz de bel aizin,
Mon escient;
Mas trop vezem anar pel mon
De folla gent. »

Ar auzires qu’ai respondut;
Anc no li diz ni bat ni but,
Ni fer ni fust no ai mentaugut,
Mas sol aitan:
« Barariol, barariol,
Babarian. »

So diz n’Agnes a n’Ermessen:
« Trobat avem qu’ anam queren.
Sor, per amor Deu, l’alberguem,
Qe ben es mutz,
E ja per lui nostre conselh
Non er saubutz. »

La una m pres sotz son mantel,
Menet m’en sa cambr’, al fornel.
Sapchatz qu’a mi fo bon e bel
E l focs fo bos,
Et eu calfei me volentiers
Als gros carbos.

A manjar mi deron capos,
E sapchatz ac i mais de dos,
E no i ac cog ni cogastros,
Mas sol nos tres,
E ‘l pans fo blancs e l vins fo bos
E ‘l pebr’ espes

« Sor, aquest hom es enginhos,
E laissa lo parlar per nos:
Nos aportem nostre gat ros
De mantement,
Qe ‘l fara parla raz estros,
Si de re nz ment. »

N’Agnes anet per l’enujos,
E fo granz et ab loncz guinhos:
E eu, can lo vi entre nos,
Aig n’espavent,
Q’a pauc non perdei la valor
E l’ardiment.

Qant aguem begut e manjat,
Eu mi despoillei a lor grat.
Detras m’aporteron lo gat
Mal e felon:
La una ‘l tira de costat
Tro al tallon.

Per la coa de man tenen
Tira’l gat et el escoissen:
Plajas mi feron mais de cen
Aqella ves.
Mas eu no m mogra ges enguers,
Qui m’ausizes.

« Sor, diz n’Agnes a n’Ermessen,
Mutz es, qe ben es connoissen;
Sor del banh nos apareillem
E del sojorn. »
Veit jorns ez encar mais estei
En aquel forn.

Tant las fotei com auzirets:
Cen e quatre vint et veit vetz,
Q’a pauc no j rompei mos corretz
Et mos arnes;
E no us puesc dir lo malveg,
Tan gran m’en pres.

Ges no us sai dir lo malveg,
Tan gran m’en pres.

Je ferai un vers puisque je suis endormi
Et que je marche, tout en restant au soleil.
Il y a des dames pleines de mauvais desseins,
Et je puis vous dire qui elles sont :
Ce sont celles qui méprisent l’amour
Des chevaliers.

Elle fait un grand péché, un péché mortel,
La dame qui n’aime pas un chevalier loyal ;
Mais si celui qu’elle aime est moine ou clerc,
Elle n’a aucune raison :
On devrait la brûler
Avec un tison ardent.

En Auvergne par le Limousin
Je m’en allais seul et sans bruit
Je trouvais l’épouse du sire Garin
Et de sire Bernard
Elles me saluèrent simplement
Par Saint Léonard

L’une me dit en son langage :
« Dieu vous sauve, seigneur pèlerin
Vous me paraissez bien convenable
À mon avis
Mais nous voyons aller par le monde
Bien des fous. »

Maintenant, écoutez ce que j’ai répondu
jamais je ne lui dit ni « bât » ni « bout »
Je ne lui parlais ni d’outil ni de manche,
Mais lui dis seulement :
« Babariol, babariol,
Babarian »

Alors, Dame Agnès dit à Dame Ermessent :
« Nous avons trouvé ce que nous cherchons.
Ma sœur, pour l’amour de Dieu, on va l’héberger
Car il est bien muet
Et jamais par lui, notre conduite
Ne sera connue. »

L’une me prend sous son manteau,
Me conduit dans sa chambre, près du fourneau.
Sachez que cela me plut fort ;
Le feu était bon,
Et je me chauffais volontiers auprès
De gros charbons.

Elles me donnèrent à manger des chapons ;
Sachez qu’il y en eut plus de deux.
Il n’y avait là ni cuisinier ni marmitons,
Mais nous trois seulement ;
Le pain fut blanc et le vin fut bon
Et le poivre abondant.

« Sœur, cet homme est rusé
Et se retient de parler
A cause de nous : apportons tout de suite
notre chat roux,
Qui le fera parler à l’instant , s’il essaie
De nous tromper ».

Agnès alla chercher la déplaisante créature :
Il était gros avec de longues moustaches.
Et moi, quand je le vis, entre nous,
J’en eu très peur,
Et peu s’en fallut que je ne perdisse ma valeur
Et ma hardiesse.

Quand nous eûmes bu et mangé,
Je me dévêtis à leur demande.
Derrière moi elles apportèrent le chat
Méchant et irrité
Et l’une le tira de mes flancs
jusqu’au talon.

Par la queue, brusquement,
Elle tire le chat, et lui, il plante en moi ses griffes
Elles me firent plus de cent plaies
Ce jour-là.
Mais je n’eusse pas bougé, quand on
Eût dû me tuer.

« Sœur, dit dame Agnès à dame Ermessent
Il est vraiment muet, c’est bien visible.
Préparons le bain et songeons à nous donner
Du bon temps. »
Huit jours et encore plus je suis resté
Dans cette étuve.

Tant je les honorais comme vous entendez
Cent quatre-vingt huit fois !
Peu s’en fallut que je n’y rompisse ma ceinture
Et mon harnachement.
Je ne peux vous dire le mal
Si grand que j’éprouvais.

Non! Je ne saurais vous dire ce mal,
Si grand que j’éprouvais !

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