Le chemin et la littérature: quand le premier troubadour chantait l'étrange aventure d'un pèlerin de Saint-Jacques

Guillaume IX d'AquitaineGuillaume IX de Poitiers (1071-1126), duc d’Aquitaine et grand-père d’Aliénor, est le premier troubadour et le premier poète en langue vulgaire de l’Europe médiévale.

Sa chanson « Farai un vers pos mi sonelh » constitue l’un des tout premiers témoignages littéraires sur le coquillard ou faux pèlerin de Compostelle.

Guillaume IX est le seul auteur de la littérature occitane médiévale à mettre en scène un pèlerin tourné en dérision. Dans cette chanson, en effet, le narrateur est un pèlerin absorbé dans une rêverie diabolique, dans laquelle deux jeunes femmes l’apostrophent (« E Dieus vos salf, don pelerin! ») et, sous prétexte de lui offrir l’hospitalité, l’entraînent vers la luxure…

La chanson de Guillaume IX d’Aquitaine et sa traduction
Farai un vers, pos mi sonelh
E m vauc e m’estauc al solelh.
Domnas i a de mal conselh,
E sai dir cals:
Cellas c’amor de cavalier
Tornon a mals

Domna fai gran pechat mortal
Qe non ama cavalier leal;
Mas s’ama o mong’ o clergal,
Non a raizo:
Per dreg la deuri’ hom cremar
Ab un tezo.

En Alvernhe, part Lemozi,
M’en aniey totz sols a tapi:
Trobei la moller d’en Guari
E d’en Bernart;
Saluderon mi simplaentz
Per san Launart.

La una m diz en son latin:
« E Dieus vos salf, don pelerin;
Mout mi semblatz de bel aizin,
Mon escient;
Mas trop vezem anar pel mon
De folla gent. »

Ar auzires qu’ai respondut;
Anc no li diz ni bat ni but,
Ni fer ni fust no ai mentaugut,
Mas sol aitan:
« Barariol, barariol,
Babarian. »

So diz n’Agnes a n’Ermessen:
« Trobat avem qu’ anam queren.
Sor, per amor Deu, l’alberguem,
Qe ben es mutz,
E ja per lui nostre conselh
Non er saubutz. »

La una m pres sotz son mantel,
Menet m’en sa cambr’, al fornel.
Sapchatz qu’a mi fo bon e bel
E l focs fo bos,
Et eu calfei me volentiers
Als gros carbos.

A manjar mi deron capos,
E sapchatz ac i mais de dos,
E no i ac cog ni cogastros,
Mas sol nos tres,
E ‘l pans fo blancs e l vins fo bos
E ‘l pebr’ espes

« Sor, aquest hom es enginhos,
E laissa lo parlar per nos:
Nos aportem nostre gat ros
De mantement,
Qe ‘l fara parla raz estros,
Si de re nz ment. »

N’Agnes anet per l’enujos,
E fo granz et ab loncz guinhos:
E eu, can lo vi entre nos,
Aig n’espavent,
Q’a pauc non perdei la valor
E l’ardiment.

Qant aguem begut e manjat,
Eu mi despoillei a lor grat.
Detras m’aporteron lo gat
Mal e felon:
La una ‘l tira de costat
Tro al tallon.

Per la coa de man tenen
Tira’l gat et el escoissen:
Plajas mi feron mais de cen
Aqella ves.
Mas eu no m mogra ges enguers,
Qui m’ausizes.

« Sor, diz n’Agnes a n’Ermessen,
Mutz es, qe ben es connoissen;
Sor del banh nos apareillem
E del sojorn. »
Veit jorns ez encar mais estei
En aquel forn.

Tant las fotei com auzirets:
Cen e quatre vint et veit vetz,
Q’a pauc no j rompei mos corretz
Et mos arnes;
E no us puesc dir lo malveg,
Tan gran m’en pres.

Ges no us sai dir lo malveg,
Tan gran m’en pres.

Je ferai un vers puisque je suis endormi
Et que je marche, tout en restant au soleil.
Il y a des dames pleines de mauvais desseins,
Et je puis vous dire qui elles sont :
Ce sont celles qui méprisent l’amour
Des chevaliers.

Elle fait un grand péché, un péché mortel,
La dame qui n’aime pas un chevalier loyal ;
Mais si celui qu’elle aime est moine ou clerc,
Elle n’a aucune raison :
On devrait la brûler
Avec un tison ardent.

En Auvergne par le Limousin
Je m’en allais seul et sans bruit
Je trouvais l’épouse du sire Garin
Et de sire Bernard
Elles me saluèrent simplement
Par Saint Léonard

L’une me dit en son langage :
« Dieu vous sauve, seigneur pèlerin
Vous me paraissez bien convenable
À mon avis
Mais nous voyons aller par le monde
Bien des fous. »

Maintenant, écoutez ce que j’ai répondu
jamais je ne lui dit ni « bât » ni « bout »
Je ne lui parlais ni d’outil ni de manche,
Mais lui dis seulement :
« Babariol, babariol,
Babarian »

Alors, Dame Agnès dit à Dame Ermessent :
« Nous avons trouvé ce que nous cherchons.
Ma sœur, pour l’amour de Dieu, on va l’héberger
Car il est bien muet
Et jamais par lui, notre conduite
Ne sera connue. »

L’une me prend sous son manteau,
Me conduit dans sa chambre, près du fourneau.
Sachez que cela me plut fort ;
Le feu était bon,
Et je me chauffais volontiers auprès
De gros charbons.

Elles me donnèrent à manger des chapons ;
Sachez qu’il y en eut plus de deux.
Il n’y avait là ni cuisinier ni marmitons,
Mais nous trois seulement ;
Le pain fut blanc et le vin fut bon
Et le poivre abondant.

« Sœur, cet homme est rusé
Et se retient de parler
A cause de nous : apportons tout de suite
notre chat roux,
Qui le fera parler à l’instant , s’il essaie
De nous tromper ».

Agnès alla chercher la déplaisante créature :
Il était gros avec de longues moustaches.
Et moi, quand je le vis, entre nous,
J’en eu très peur,
Et peu s’en fallut que je ne perdisse ma valeur
Et ma hardiesse.

Quand nous eûmes bu et mangé,
Je me dévêtis à leur demande.
Derrière moi elles apportèrent le chat
Méchant et irrité
Et l’une le tira de mes flancs
jusqu’au talon.

Par la queue, brusquement,
Elle tire le chat, et lui, il plante en moi ses griffes
Elles me firent plus de cent plaies
Ce jour-là.
Mais je n’eusse pas bougé, quand on
Eût dû me tuer.

« Sœur, dit dame Agnès à dame Ermessent
Il est vraiment muet, c’est bien visible.
Préparons le bain et songeons à nous donner
Du bon temps. »
Huit jours et encore plus je suis resté
Dans cette étuve.

Tant je les honorais comme vous entendez
Cent quatre-vingt huit fois !
Peu s’en fallut que je n’y rompisse ma ceinture
Et mon harnachement.
Je ne peux vous dire le mal
Si grand que j’éprouvais.

Non! Je ne saurais vous dire ce mal,
Si grand que j’éprouvais !

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